Discours de SM le Roi Mohammed VI
à la Nation
Rabat, 18/05/2005
"Louange à Dieu.
Paix et salut sur le Prophète.
Sa famille et Ses compagnons.
Cher peuple.
Ainsi que tu le sais, depuis
que j'ai assumé la charge suprême d'assurer la conduite
de la nation, J'ai toujours été attentif à tes
préoccupations, soucieux de répondre à tes aspirations,
veillant constamment à t'associer à la recherche des
solutions appropriées pour relever les grands défis qui
se posent à notre nation, dans un esprit empreint
d'espérance, de volontarisme et d'engagement.
C'est dans ce même esprit, et
après une réflexion qui a mûri au fil des déplacements
et des visites que J'ai effectués à travers les
différentes régions du Royaume pour M'enquérir de ta
situation, que J'ai décidé de t'entretenir, aujourd'hui,
d'une question qui se trouve au coeur de notre projet de
société, une question qui préoccupe et interpelle
instamment la nation dans son ensemble : institutions,
acteurs politiques, syndicaux et économiques, société
civile, et plus encore, familles et l'ensemble des
citoyens.
Nous entendons par là la
problématique sociale, qui constitue, pensons-Nous, le
défi majeur à relever pour la concrétisation de notre
projet de société et de développement. En effet, Nous
avons décidé, avec l'aide de Dieu, de Nous y atteler en
lançant une nouvelle initiative qui se veut novatrice et
ambitieuse, à savoir : " l'Initiative Nationale pour le
Développement Humain ".
Cette initiative s'inscrit dans
la vision d'ensemble qui constitue la matrice de notre
projet sociétal, modèle bâti sur les principes de
démocratie politique, d'efficacité économique, de
cohésion sociale et de travail, mais aussi sur la
possibilité donnée à tout un chacun de s'épanouir en
déployant pleinement ses potentialités et ses aptitudes.
C'est dans cette vision
équilibrée et portée vers l'avenir, que s'inscrivent, du
reste, les réformes fondamentales et les projets
structurants que Nous avons engagés, ainsi que les
progrès et les acquis aujourd'hui engrangés, notamment
dans les domaines de la consolidation de l'Etat de
droit, de l'élargissement de l'espace des libertés, de
la promotion des droits de la femme, de l'enfance et des
catégories sociales démunies et fragiles.
Nous avons franchi des étapes
importantes dans le processus de construction d'une
économie moderne et performante, à travers les multiples
projets d'infrastructure et de mise à niveau de
l'appareil productif national, et les divers dispositifs
de promotion de l'investissement et de l'initiative
privée, ainsi qu'à travers les politiques sectorielles
et les programmes de développement régional, lancés
récemment par Nos soins dans les régions de l'Oriental
et de Souss-Massa-Daraâ, pour étayer les réalisations
accomplies depuis quelques années déjà dans les Régions
du Sud et du Nord du Royaume.
Nous avons également veillé à
la disponibilité des moyens et des mécanismes à même
d'impulser le processus de développement - notamment le
Fonds Hassan II pour le développement économique et
social- et d'accélérer la réalisation des programmes
nationaux d'adduction d'eau potable, d'électrification
intégrale du monde rural et de son désenclavement.
Cher peuple.
L'initiative que Nous lançons
aujourd'hui est une autre pierre qui vient conforter cet
édifice. Elle part ainsi de quatre points de repère
principaux, qui en constituent le bien-fondé et la
philosophie d'action.
Elle part, d'abord, des données
objectives qui constituent les termes de la
problématique sociale au Maroc. Des données qui montrent
que de larges franges de la population marocaine et des
zones entières du territoire national vivent dans des
conditions difficiles et parfois dans une situation de
pauvreté et de marginalisation, qui est incompatible
avec les conditions d'une vie digne et décente que Nous
souhaitons pour Nos citoyens.
En effet, de nombreux quartiers
et bidonvilles, urbains ou périurbains, et plusieurs
communes, situées pour leur grande majorité en milieu
rural, connaissent des situations difficiles marquées
par l'insuffisance des accès aux équipements et services
sociaux de base, offrant ainsi des terreaux propices à
l'aggravation des problèmes d'analphabétisme, de chômage
et d'exclusion, ou de déscolarisation, et pâtissant des
faibles opportunités d'emploi et d'activités
rémunératrices.
Une telle situation est,
certes, inacceptable. Mais, se contenter d'en établir le
diagnostic n'est guère suffisant et n'a réellement
d'utilité que s'il se conjugue à une action sérieuse et
porteuse d'améliorations concrètes.
La vérité du diagnostic social
devra, ainsi, être appréciée à l'aune de la noblesse de
Notre motivation et de la grandeur de Notre ambition
pour le progrès social.
Aussi, toute exploitation de la
misère sociale à des fins politiciennes ou pour nourrir
des velléités extrémistes ou encore pour cultiver un
sentiment de pessimisme, de défaitisme et de désespoir,
relève-t-elle de la pure malhonnêteté et de la
mystification et ne saurait être moralement acceptée.
Notre Initiative procède, en
second lieu, d'une conviction selon laquelle la mise à
niveau sociale, tâche par ailleurs complexe et de longue
haleine, ne peut relever de l'assistance ponctuelle ou
de l'action caritative spontanée ou encore d'un devoir
éthique ou d'un acquit de conscience.
Tout en veillant à ce que
chacun demeure constamment imprégné de ces vertus et de
leurs bienfaits louables, Nous estimons que le
développement efficace et durable ne peut se concrétiser
que par le biais de politiques publiques intégrées,
s'inscrivant dans le cadre d'une entreprise cohérente,
d'un projet global et d'une forte mobilisation tous
azimuts, où les dimensions politique, sociale,
économique, éducationnelle, culturelle et écologique, se
conjuguent et se complètent.
Aussi, en veillant à la
concrétisation de ce projet, Notre ultime dessein est-il
d'élargir le cercle des opportunités et les espaces de
choix qui s'offrent à l'homme et à la femme marocains.
Toutefois, cela ne saurait être
possible que par un effort d'éradication de la pauvreté
et des dénuements qui limitent les potentialités du
citoyen marocain et empêchent sa pleine participation à
la vie sociale et économique.
Si le niveau de croissance
économique est insuffisant et inéquitable dans la mesure
où ses dividendes ne profitent pas à l'ensemble des
populations et des régions du pays, d'autant que
certaines continuent à pâtir de la marginalisation et de
la dégradation des conditions de vie, il importe de
noter, en même temps, que l'inclusion souhaitée ne
saurait être considérée, selon une vision simpliste et
étriquée, comme un fardeau qui pèse sur la croissance,
dès lors qu'elle en est à la fois la condition et le
catalyseur.
Le troisième point de repère de
l'Initiative est lié au choix de l'ouverture sur le
monde, choix que Nous avons fait et que Nous assumons.
Le monde ne cesse, en effet, de changer autour de nous,
et de nous imposer davantage de défis et de
vulnérabilités qui fragilisent nos liens sociaux et
territoriaux et véhiculent des standards de
consommation, des modes de vie et des schémas de pensée
envahissants, que nous ne pouvons ni éviter ni ignorer.
Aussi, immuniser nos acquis
vis-à-vis des retombées de l'ouverture, tout en tirant
profit des nombreuses opportunités qu'elle offre, ne
peut-il être qu'une entreprise collective mobilisatrice.
C'est pourquoi tous les Marocains sont appelés à y
prendre part, au lieu de se confiner dans une posture
conduisant tout droit à l'impasse ou dictant le recours
à des solutions individualistes, contraires aux
exigences de l'intérêt supérieur de la nation.
L'Initiative part, en quatrième
et dernier lieu, des leçons tirées de nos expériences
passées et des modèles ayant fait leurs preuves dans
certains pays, en matière de lutte contre la pauvreté et
l'exclusion. Ces expériences montrent que ce défi ne
saurait être relevé que par une définition rigoureuse
des objectifs et une mobilisation générale en vue de
leur réalisation.
Elles renseignent, en outre,
sur la limite des approches de développement strictement
sectorielles, isolées et non intégrées, et sur les
dysfonctionnements que génère la grande dispersion des
efforts, des ressources et des intervenants.
En revanche, ces expériences
attestent de la pertinence des politiques de ciblage des
zones et des catégories les plus démunies, autant que de
l'importance d'une participation des populations pour
une meilleure appropriation et viabilité des projets et
des interventions, ainsi que des vertus des approches
contractuelles et partenariales, outre le dynamisme du
tissu associatif et des acteurs du développement local
et de proximité.
Partant de ces atouts, de ces
référentiels et des enseignements tirés des expériences
passées, l'Initiative que Nous lançons aujourd'hui doit
se décliner sous le signe de la citoyenneté réelle et
agissante, et procéder d'une démarche résolument
novatrice et d'une méthodologie d'action qui allie
ambition, réalisme et efficacité, et se traduise par des
programmes pratiques, bien définis et intégrés. Trois
axes principaux lui ont ainsi été fixés :
Premièrement, s'attaquer au
déficit social dont pâtissent les quartiers urbains
pauvres et les communes rurales les plus démunies, et ce
par l'élargissement de l'accès aux équipements et
services sociaux de base, tels que la santé et
l'éducation, l'alphabétisation, l'eau, l'électricité,
l'habitat salubre, l'assainissement, le réseau routier,
les mosquées, les maisons de jeunes et les
infrastructures culturelles et sportives.
Deuxièmement, promouvoir les
activités génératrices de revenus stables et d'emplois,
tout en adoptant une action plus imaginative et plus
résolue en direction du secteur informel. A cet égard,
Nous appelons aussi bien le gouvernement que les
différents partenaires à faire des prochaines assises
nationales sur l'emploi une occasion propice pour
engager un dialogue ouvert et constructif et formuler
des propositions concrètes pour enrayer le chômage des
jeunes.
Troisièmement, venir en aide
aux personnes en grande vulnérabilité, ou à besoins
spécifiques, pour leur permettre de s'affranchir du joug
de la précarité, de préserver leur dignité et d'éviter
de sombrer soit dans la déviance, soit dans l'isolement
et le dénuement extrême.
Pour ce faire, et compte tenu
de l'impossibilité matérielle d'assurer une couverture
exhaustive et concomitante de toutes les régions et de
toutes les catégories, il a été jugé pertinent d'adopter
des critères objectifs d'urgence pour déterminer les
bénéficiaires à titre prioritaire.
Ainsi, dans une première étape
de son lancement, l'Initiative ciblera le renforcement
de la mise à niveau sociale de 360 communes parmi les
plus pauvres du monde rural, et de 250 quartiers
pauvres, en milieu urbain et périurbain, médinas
anciennes et bidonvilles, où sévissent les
manifestations les plus criantes de l'exclusion sociale,
du chômage, de la délinquance et de la misère.
Elle visera, également et de
manière progressive, la mise à niveau tant des capacités
que de la qualité des centres d'accueil existants, ou la
création de nouveaux centres spécialisés, à même
d'accueillir et de venir en aide aux personnes en
situation de grande précarité, tels les handicapés, les
enfants abandonnés, les femmes démunies, sans soutien et
sans abri, les vagabonds, les vieillards et les
orphelins livrés à eux-mêmes.
Certes, nos moyens sont
limités, mais ce n'est pas là une raison pour se
résigner à une situation précaire dont Nous ne saurions
admettre qu'elle soit une fatalité au regard de Notre
peuple et de sa fierté. Notre foi inébranlable en notre
génie national, notre potentiel de créativité et nos
capacités de travail, nos ressources humaines
qualifiées, conjugués à la détermination qui nous anime
et que nous devons à nos valeurs authentiques seront nos
véritables atouts pour parvenir aux objectifs que Nous
avons fixés à cette Initiative vitale.
Afin d'assurer constance et
efficacité dans la mise en uvre de cette Initiative, et
de concilier, d'une part, la contrainte inhérente à la
durée limitée de chaque mandat parlementaire ou
gouvernemental et, d'autre part, la nécessité de
pérenniser cette Initiative de portée nationale, Nous
avons fixé un échéancier pour sa mise en uvre en
l'échelonnant sur le court, le moyen et le long terme.
Sur le court terme, Nous avons
chargé le Premier ministre de veiller à ce que le
Gouvernement s'attelle à donner corps à cette nouvelle
Initiative, dans sa première phase, sous forme de
programmes et de projets intégrés et tangibles sur le
terrain. Il lui appartient de soumettre à Notre haute
appréciation, dans les trois mois à venir, un plan
d'action complet répondant aux objectifs de
l'Initiative.
Sur le moyen terme, il incombe
à la classe politique, dans la perspective des échéances
partisanes et électorales, auxquelles elle se prépare à
l'horizon de 2007, d'inscrire au c ur de ses
préoccupations l'élaboration de projets concrets. Le but
est de donner corps à cette Initiative, eu égard à ses
objectifs de développement, qui sont au centre des
préoccupations quotidiennes du peuple et constituent la
pierre angulaire pour la réhabilitation de l'action
politique.
Sur le long terme, Ma grande
ambition, qui est aussi la tienne, cher peuple, est de
hisser les indices de développement humain dans notre
chère patrie à un niveau comparable à celui des pays
développés.
Soulignant le caractère
national et global de cette Initiative, Nous avons donné
Nos instructions à Notre premier ministre pour qu'il la
soumette au Parlement dans le cadre d'une séance
spéciale, afin qu'elle recueille tout l'appui qu'elle
requiert.
De manière générale, Nous
appelons le gouvernement à adopter une démarche d'écoute
et de concertation avec toutes les forces vives de la
nation, en l'occurrence les partis politiques, les
syndicats, les collectivités locales, les organisations
de la société civile et le secteur privé, mais aussi les
citoyens avisés ayant à c ur de s'impliquer dans
l'action du développement.
Nous l'appelons aussi à adopter
un plan d'action fondé sur les principes de bonne
gouvernance, à savoir la responsabilité et la
transparence, les règles de professionnalisme, la large
participation des citoyens, l'intégration et la
rationalisation des interventions des établissements et
organismes publics, ainsi que le suivi et l'évaluation
permanente des réalisations.
Sur le plan du financement,
Nous avons décidé que l'Initiative nationale pour le
développement humain soit adossée à des ressources
pérennes et d'un niveau substantiel, inscrites au budget
général de l'Etat.
A cet égard, il importe de
mettre fin aux palliatifs et aux demi-mesures qui sont
aussi stériles qu'éphémères. En outre, le financement de
l'Initiative doit être déployé selon un mécanisme
financier spécifique apte à garantir, outre la viabilité
des ressources, un assouplissement efficient des
procédures de mise en oeuvre.
Nous voulons insister, à cet
égard, qu'il ne sera fait recours à aucun nouvel impôt
ou charge fiscale, ni pour le citoyen ni pour
l'entreprise.
La mise en uvre de l'Initiative
nationale pour le développement humain devra, par
ailleurs, être l'occasion pour faire émerger, dans notre
pays, une véritable ingénierie sociale, à travers
l'innovation dans les types d'intervention, économes en
moyens et à impact maximal, étayés par des ressources
humaines qualifiées et par des mécanismes d'observation
vigilante et objective des phénomènes de pauvreté et
d'exclusion.
Cher peuple.
L'Initiative nationale pour le
développement humain n'est ni un projet ponctuel, ni un
programme conjoncturel de circonstance. C'est un
chantier de règne, ouvert en permanence.
Il ne s'agit pas non plus d'un
changement de cap ou d'une remise en cause de l'échelle
des priorités. Il s'agit plutôt d'une réaffirmation
tangible de notre engagement, car Nous ne cessons, à
toute occasion, de réaffirmer la priorité et la
permanence des combats que nous menons dans les domaines
de la mise à niveau du capital humain, du renforcement
de la compétitivité de l'économie nationale, de la
promotion de l'investissement, de l'initiative privée et
de l'exportation, dans le cadre des diverses politiques
sectorielles.
A cet égard, Nous soulignons
une fois de plus, le rôle déterminant de la mise en uvre
optimale de la réforme du système d'éducation et de
formation en tant que levier capital de mobilité et
d'intégration sociales, ainsi que le besoin pour notre
pays de disposer d'une stratégie d'action maîtrisée à
long terme par un développement rural effectif et une
exploitation judicieuse et optimale de nos ressources
agricoles.
Tenant fermement au devoir de
solidarité à l'égard du monde rural pour pouvoir faire
face aux situations pressantes consécutives à une année
agricole difficile, Nous réaffirmons la nécessité pour
le gouvernement de prendre les mesures d'urgence qui
s'imposent pour surmonter la conjoncture actuelle.
Cher peuple.
Telle est la voie qui fera que
le Maroc demeurera une nation vivante et un pays en
marche. Tel est le projet, noble, autour duquel Nous
appelons, au-delà des clivages et des calculs étriqués
et dans un esprit de sacrifice et d'abnégation, à
l'adhésion et à la mobilisation de tous.
Imprégné de la culture de
l'évaluation et de la nécessité pour tous les acteurs
d'être comptables de leurs actes dans l'exercice de
leurs fonctions, culture que Nous entendons voir ancrée
dans la gestion de la chose publique, Nous nous donnons
rendez-vous dans les trois années qui viennent pour
faire l'évaluation des résultats de cette nouvelle
Initiative et mesurer les changements positifs et
palpables qui en auront découlé dans la vie des
citoyens.
Nous nous devons tous de
prendre le ferme engagement d' uvrer sans relâche en vue
d'arracher les catégories et les régions défavorisées à
l'emprise de la pauvreté, de l'exclusion et du
sous-développement, de leur permettre de prendre en
charge leur propre essor, et de réaliser le
développement humain durable, qui constitue le véritable
combat du Maroc d'aujourd'hui et de demain.
+Dis : Agissez, Dieu verra
votre action, ainsi que Son envoyé et les croyants+.
Véridique est la parole de Dieu.
Wassalamou Alaïkoum Warahmatullahi Wabarakatuh".